CAFE DU BALCON
Lons-Le-Saulnier Le 1er Août 1917
Téléphone 1.10
Cher Parents
Partis d’Epenoy ce matin, nous sommes arrivés ce soir ici, et je me vois obligé de vous avouer que j’ai un cafard monstre.
Je me retrouve seul, planté au milieu de types que je ne connais pas, et toutes les connaissances à refaire. On ne nous a pas en effet mis les uns avec les autres nous les « ex-aspirants », titre railleur que j’ai entendu déjà plus de 20 fois aujourd’hui, et si nous sommes fort en théorie et capable de commander, nous ne sommes pas assez capables d’exécuter. Toute la somme d’efforts et de fatigue acquise au peloton ne nous sert à rien, sinon à être en retard sur nos camarades.
Je me sens complètement isolé, et tristes épaves, tous les 5, nous nous raccrochons partout où nous nous rencontrons. Nous sentons bien maintenant que nous avons trop espérer en l’avenir.
« Nous sommes des Dieux tombés qui nous souvenons des cieux ».
Le bataillon partira à Epinal au commencement du mois prochain, mais j’ai bien envie de le devancer. Bénéficiant de mon titre d’engagé, je vais demander à partir le plus tôt possible là-bas. Gérard, du reste, y est déjà.
Je ne veux plus briguer de grades. Je veux faire uniquement tout mon devoir de simple poilu, et c’est à cela seul que je vais travailler maintenant.
Je n’ai pas encore reçu de vos nouvelles depuis mon départ, et c’est peut-être un peu la base de mon cafard.
Je vous envoie ci-joint la photo dernière du peloton, maintenant dissous.
et je vous quitte en attendant impatiemment de vos nouvelles et en vous embrassant tous affectueusement, ainsi que Madeleine, si elle est encore là.
P.Collot
Le seul reçu de la 5ème a une croix sur la photo