Suite de la lettre du 7 novembre 1917
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III L’Attaque Après des journées abrutissantes par leur monotonie et leur lugubre notes arriva le grand jour de l’attaque que nous appelions tous de tous nos vœux, pressés d’être délivré du cauchemar, et de ne plus sentir peser les angoissants problèmes. En reviendrai-je ! L’attaque va-t-elle réussir ? A force de persuasion et de tranquille confiance en la Providence, j’avais déjà presque résolus le premier et partait sûr de revenir. Mais le 2ème se posait toujours ? Enfin, un soir, c’était le lundi 22 |
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l’ordre : tout le monde en tenue de combat. Et alors dans les sapes ce fut un remue-ménage indescriptible serrés comme des moutons, nous rebouclions nos équipements et arrangions tout notre barda de vivre et de grenade. A force tout le monde arriva à ses fins et bientôt les sections étaient prêtes à partir. L’aspirant Rouyer qui conduisait ma section, la 3ème vint nous chercher et partîmes pour les parallèles de départ ou nous devions attendre l’heure de l’attaque. Alors toujours à la file indienne nous quittâmes la tranchée et partîmes par des semblants de boyaux à travers |
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les barbelés en prerés( ?) vers les dites parallèles. Après des difficultés de toutes sorte, nous arrivâmes enfin. On me colle dans un brin de tranchée, ou le parapet m’arrivait à mi- ventre, avec un caporal, un rustre vosgien au teint bronzé, au long nez, très bruyant à l’arrière mais bien plus calme là-haut. Nous étions comme cela par paquet des deux ou trois dans des semblants de tranchée. Et là, tout en guettant, nous devions passer la nuit pour attaquer au petit jour. Ce fut la vraie veillée des armes. Vous imaginez le caractère lugubre et angoissant que prirent à nos yeux ces quelques |
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heures. Tout défilait devant nos yeux : visions anticipées des sanglantes journées qui allaient commencer, et visions plus calmes, mais plus émotionnantes des années passées. Dans une dernière et affectueuse contemplation, je vous revis tous, l’un après l’autre, notre vielle maison, notre Bar, tout ce qui m’était cher, et tranquillement la conscience tranquille, je m’endormis sur ces reposantes apparitions intérieures, sur lesquelles je ne revins qu’au moment où ces sanglantes journées passées nous quittons les lignes pour la relève. Famille, amitiés, tout ce qui m’était cher ! Je l’oublierai complètement et volontairement pour ne pas être retenu et enchainé loin de la pénible tache, qui était le devoir. |
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III (Suite) L’attaque
Comme notre tranchée devenait centre de résistance en cas de contre-attaque boche |
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Alors dans le boyau, à la queue leu leu, on fit feu en arrière. A peine avions nous tourné le dos, qu’une seconde marmite arrive en plein dans le boyau, que celui qui était devant moi emporte en l’air un autre travailleur, qui va se tuer en retombant à 10 mètres de là, et ne m’épargne pas. Je me sens enlevé en l’air par une force irrésistible, tourbillonner un instant et je me retrouve aplati sur un cadavre boche qui se trouvait là, avec sur le dos tout le parapet éboulé. Pendant ces quelques secondes, je me rappelle très bien avoir eu cette pensé « Cela y est, c’est fini ». Je n’ai pas eu le temps d’en penser plus que je me sentais à terre, enterré |
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Et tout abasourdi. Je restais là quelques secondes, croyant que les autres allaient me délivrer car je ne les avais pas vus tomber. N’entendant rien, d’un coup de rein, je me sortis de ma dangereuse position, et enjambant un cadavre, ou plutôt un amas sanglant de chaires fumantes, je courus dans une sape qui se trouvait à quelques mètres de là, dans la tranchée ou venait aboutir notre boyau. Un lieutenant blessé par un éclat de mon obus, assez grièvement part entre les mains des infirmiers et on lui faisait son pansement. La sape étant pleine, je restai en haut de l’escalier, un peu à l’abri, car maintenant les marmites s’acharnaient sur le petit coin ou j’avais été enterré. Je n’ose |
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pas songer à ce qui serait arrivé si je ne m’étais pas dégagé presqu’aussitôt ! Pendant que le marmitage continuait je parvins à me caser plus commodément dans la sape ou d’autres poilus venaient s’enfiler eux aussi. Je remis alors un peu mes esprits égarés et mes nerfs ébranlés. Je n’avais plus de lunettes et j’étais un peu sourd. Le marmitage se calma, alors on vida la sape. C’était plutôt urgent, car de tous côtés, des agents de liaison venaient prévenir que les boches allaient contre-attaquer. Chacun prit un fusil, on braqua les mitrailleuses boches et autres, et froidement on attendit, sous la pluie diluvienne qui se met à tomber, et nous mouilla jusqu’aux os. C’est une heure terrible, celle-là aussi, d’être là à un poste |
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de combat, prêt à tout, l’esprit tendu, à attendre de pied ferme l’ennemi qui s’avance. Nous l’attendîmes une heure puis, rien ne venant, tout le monde rentra dans la sape se mettre à l’abri de la pluie et des marmites éventuelles. Par prudence, 2 sentinelles furent placées. J’étais l’une d’elles, et bravement sous la pluie qui tombait toujours, je pris mes 2 heures de garde en compagnie d’un vieux poilu qui placidement fumait sa pipe enveloppé dans une toile de tente. (Je ne l’ai jamais vu que ce jours là et ne l’ai jamais revu depuis). Tout en grelottant de froid, dans ma capote écourtée et trempée, je me mis à surveiller devant moi. j’eus alors une belle vue du champ de bataille. Devant moi, le sol |
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se trouait d’énormes cratères d’obus qui se touchaient les uns les autres. Tout était bouleversé, tout était retourné, comme si une gigantesque charrue fut passée par là, et dans les sillons de cette charrue gisaient des cadavres boches et français, trainaient des fusils, des casques, des équipements. A ma droite, c’était la même chose, et j’apercevais le fort de la Malmaison, effondré complètement sur lequel flottait le petit drapeau planté par les zouaves un matin. Des boches déséquipés, qui s’étaient rendus s’acheminaient seuls vers l’arrière, des brancardiers relevant des blessés, animaient seuls un peu ce triste tableau de guerre. Mes deux heures finies, je suis remplacé |
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Et à mon tour je me coulais dans la sape. Transis de froid, mouillé jusqu’ aux os tous nous nous collions les uns aux autres pour nous réchauffer, nous couvrant d’un lambeau de couverture qui sentait le cadavre à plein nez ; nous l’avions enlevé en effet de dessus un boche crevé étendu dans la sape à coté de nous. La misère, comme vous le voyez, fait perdre tous les dégouts. Il n’y avait pas une heure que nous étions dans la sape, qu’on nous en faisait sortir vivement pour prendre nos postes de combat, car les boches contre-attaquaient. Devant nous, nous les vîmes d’avancer à 500m, refluant devant eux, une poignée de braves du 5ème et du 28ème chasseurs, débris des sections qui avaient attaqué les carrières et qui s’étaient groupés dans des trous d’obus devant nous. Ils nous |
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rejoignirent, après avoir évacué leurs positions. Les Boches s’y arrêtèrent à peu près tous, et seuls quelques-uns vinrent jusqu’à notre tranchée, ou quelques coups de fusils les firent repartir en arrière. L’alerte était finie et nous restâmes dans les sapes, à part les sentinelles. On nous fit ressortir pour évacuer un blessé qui était tout au fond, et pendant cette opération, debout dans la tranchée au milieu de la nuit qui tombait j’eus une dernière vision de guerre de cette sanglante journée. A 100m de nous, je vis une forme humaine qui s’avançait difficilement, rampant, se trainant, se relevant, marchant, titubant, roulant dans les trous d’obus, et cette ombre qui geignait, haletait, paraissait à bout de forces ; enfin elle approche de nous |
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et nous reconnûmes un sergent du 28ème tout ensanglanté du sang de 4 blessures qu’à force d’énergie et d’héroïques souffrances s’était trainé jusqu’à nous, sous le feu des boches, pour n’être pas relevé par leur brancardiers. Les nôtres s’empressent autour de lui et on l’emporta presque mourant vers l’arrière. Il avait fait son devoir jusqu’au bout et je songe maintenant qu’il résumât bien tout cette sanglante journée, ou au prix de mille souffrances et d’héroïques efforts, les chasseurs de « l’Alsacienne » avaient vaincu la vielle garde teutonne.
JP |
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III L’attaque (suite..)
… Le réveil de ce calme sommeil |
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abominable odeur me suffoquait. C’était, vous le devinez, les gaz asphyxiant. Je ne perdis pas mon temps, et saisissant mon masque pendu à mon cou, je m’ « encagoulais » en vitesse. Cependant les obus tombait toujours avec une rapidité et une précision surprenante. Depuis quand tombaient-ils je ne le sais ! Heureusement que je m’étais réveillé à temps pour les gaz, sans cela j’en prenais ma dose. Au milieu de ce déluge de feu, je restais presque calme, guettant les sifflements, m’aplatissant aux bons moments, et me recroquevillant le plus possible dans mon trou pour échapper à la pluie de terre, de pierre et de fer, qui n’arrêtait pas. N’entendant plus les autres, et |
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La droite, et je retrouvais la section et l’aspirant. Sous le bombardement ils s’étaient groupés dans une tranchée mieux faite, presqu’intact et attendaient … l’heure. L’aspirant me dit alors : « c’est toi, Collot, on te cherchait, où était tu ? » Je lui expliquait ma situation, il me demande alors : « Et bien ! Comment cela va ? » Alors, je ne sais pas ce qui me prit, mais en riant je lui répondis « Cela va bien, mais ce n’est guère silencieux et cela sent bien mauvais » Il se tordit, et m’offrit un quart de gnôle, que j’absorbais avec une visible satisfaction. Le bombardement avait à peu près cessé, les gaz aussi, avant que je ne retrouve la section. Maintenant, on attendait l’heure fatale : 5h 15, que seul l’aspirant |
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connaissait. Elle approchait à grand pas, cette heure décisive et angoissante. A un moment, l’aspirant nous dit : « Vous y êtes, En avant » et l’on partit dans la nuit vers l’inconnus… Qu’il y avait loin de cette marche silencieuse presque rampante vers l’ennemi, avec ces ruées héroïques ou l’on part, Drapeaux claquant au vent, Clairons sonnant, et tous la baïonnette haute. Qu’il y avait loin de cet assaut avec les charges admirables que Déroulède nous avait fait rêver pour la Revanche. « Que les temps sont donc changés » Mais ce n’est que la manière qui change, tous nous avions le même esprit qui anime ceux d’Austerlitz et d’Iéna. Tous nous voulions vaincre et faire tout notre devoir, malgré tout. |