Le 5 septembre 1918
Chers Parents
Par extraordinaire, c’est du même trou que je vous écris cette fois encore. C’est fort étonnant que l’on ne nous ait pas fait plus galvauder que cela en deux jours. Je vous dirai que je ne demandais pas mieux.
Et pour que vous vous rendiez bien compte de ma situâtion, je vais autant que possible vous photographier les lieux.
Je suis dans un trou avec 3 camarades. Ce trou a 1 mètre de profond et quatre mètres de surface sur une largeur d’un mètre environ et une longueur de deux. Nous avons posé des branchages. Sous ces branchages, des toiles de tentes et sous lesdites toiles, nous vivons toute la journée, accroupis, ou couchés les uns dans les autres.
Demeure donc fort pratique, peu couteuse, hygiénique, à recommander pour souche (?) d’habitation à bon marché.
Le reste du trou nous sert de W.C., de dépotoir, de débarras, etc. : je ne vous recommanderai donc pas le jardin !
A 20 mètres de notre trou, à droite comme à gauche vivent dans de mêmes demeures des tribus semblables à la nôtre.
Derrière nous, s’étend le bled avec ses accessoires : cadavres, fils de fer, trous d’obus, obus, etc.
Devant nous un ravin large et profond. La pente de notre côté est boisée. Au fond, des ruines, de l’autre coté des tranchées avec des boches, des vrais… avec des mitrailleuses non moins vraies.
Le ravin sert de dépotoir aux deux artilleries, car toute la journée, elles y lancent leurs mauvais obus. Je dis leurs mauvais, car en tombant ils se cassent tous et dégages de méphitiques vapeurs.
Je n’ose vous dire que la proximité de ce ravin est fort peu agréable et que nous en souffrons plutôt.
Voila nos positions de fin d’attaque de l’autre jour, et je crains bien qu’un de ces soirs, on nous fasse descendre en bas et monter de l’autre coté de ce ravin. Ce ne serait pas rose.
A part cela, tout va bien. Je mange férocement et suis mangé de m^me par des t.t.s de telle sorte que je ne suis que l’intermédiaire entre le producteur et le consommateur. Role assez ingrat et il faut beaucoup gratte.
Je comte bientôt descendre un peu à l’arrière et en prévision de cet évènement, je vous signale timidement mon porte-monnaie qui meure de soif.
J’ai reçu hier la lettre d’Antoinette qui m’a bien intéressé. Merci de vos prières. Je crois qu’elles sont pour beaucoup dans la conservation d’un bon moral et de tous mes abatis. Continuez ! Je vous aide .
Je vous embrasse tous bien affectueusement.
P.Collot